Transgression…
Ah ! je vous vois penser… vous êtes en train de penser la transgression à la mode libération sexuelle et/ou morale. Dans la lignée de 1968, il est devenu tendance de renoncer à toute règle, à tout repère, à tout cadre qui pourrait limiter la victoire totale de l’individu sur le collectif.
L’individu a le droit de tout faire, de tout oser, de tout transgresser pour mener son propre épanouissement personnel. Il doit le faire. Sinon, c’est un coincé, un étriqué, un passéiste. Tant pis si cela implique de renoncer à l’autre. L’autre est de toute façon un concurrent, un empêcheur de réalisation de soi, un poseur de limites. Pouah caca !
Et on peut en dire autant de ces structures collectives que l’on appelle société, famille, équipe, collectif de travail, nation, humanité. De même l’héritage de ceux qui nous ont précédés, les sagesses traditionnelles, les philosophes qui nous ont donné leur compréhension de leur réel, la morale, la pensée religieuse… Elles mettaient en place un vivre ensemble dans un cadre reconnu de tous, et limitent, oui, d’une certaine manière, la liberté individuelle, mais en échange, permettent une reconnaissance, une sécurité, une solidarité et des liens d’amour qui nous permettent de ne pas être seuls, rejeté, abandonné, en errance, et fou. Bien sûr, ces structures vivent et comme tout vivant, vieillissent. Comme tout vivant, elles sont imparfaites, maladroites, parfois étroites et castratrices. Mais, s’il est utile de les remettre en permanence sur le chantier, il me parait dangereux de les détruire.
Aujourd’hui, il y a une injonction à tout transgresser, détruire tous les cadres, toutes les règles, tout se permettre sans limites, jusqu’au non sens, sauf la pensée.
On doit créer sa propre vie, à partir de soi et uniquement de soi, sans les autres, sans héritage, sans transmission, dans un unique but: diviniser une image de soi imposée par la société, faire de soi-même un absolu, l’alpha et l’oméga de tout mais dans un cadre normalisé, marketé, rentabilisable. Le « Je » devient roi et nous enferme dans un délire narcissique infantile qui veut tout, tout de suite, éternellement, dans la logique bien huilée de la société de l’Avoir. Il faut tout le temps avoir envie de quelque chose pour se sentir vivant, pour correspondre à l’image qui nous est assénée de la personne belle, heureuse, et admirée parce qu’elle a une voiture (ou une montre, ou un parfum, ou une lessive, ou une application, ou un téléphone, … vous complèterez…) L’objectif de l’être humain de la société de consommation est d’Avoir, d’Avoir l’autre, d’Avoir l’air, d’Avoir tout compris… et d’avoir payé pour ça. Donc de se débrouiller le mieux possible pour Avoir de l’Argent, par le travail ou la bidouille… L’Argent est le maître qui donne accès au bonheur.
Et à mesure que la transgression devient la règle en ce qui concerne les relations humaines et la morale, ce qui se manifeste à travers le sexe, qui est le domaine le plus intime et donc le plus fragile de notre humanité, la pensée, elle est de plus en plus enfermée.
La pensée se voit enfermée, limitée, technicisée, étriquée, étouffée dans les règles et des dénis, tuée.
Et c’est grave en sciences sociales, car c’est elle qui élabore les propositions du vivre ensemble d’une société. C’est elle qui doit donner du sens, c’est à partir d’elle que chacun et tous, nous construisons notre monde.
Où sont les intellectuels qui nous donnent à voir autre chose que ce qui s’est pensé avant eux, sans pédantisme, sans rabâchage, parfois revanchard, souvent abscons, de vieilles querelles ? Des intellectuels qui transgressent la pensée de leurs prédécesseurs pour adapter leur analyse au réel ?
Où sont les chercheurs qui cherchent à comprendre le monde tel qu’il est et non pas tel qu’ils ont appris à le voir ?
Où sont les femmes et les hommes qui cherchent à comprendre ce qui se passe et posent des hypothèses réellement novatrices car ils se sont oubliés en tant que « références en vue » pour se mettre humblement à l’écoute ?
Où sont les universitaires qui transgressent les règles pour rendre à la pensée sa liberté, sa folie, sa force et son intelligence, au delà du cadre scientiste et technique qui l’étouffe et la castre ?
Où sont les livres qui donnent de l’espoir parce qu’ils permettent de penser le réel, la vie, et engagent un dialogue intelligent avec la société ?
Moi je ne vois que vieilles recettes, idéologies racornies, manque d’imagination, cadre étroit et confus (sous prétexte de complexité), compétition idiote et rancœur nauséabonde. je vois de pauvres et tristes enfants qui ont peur et qui essaient d’impressionner les autres… Je ne vois qu’experts infatués d’eux mêmes qui pontifient sur les médias pour montrer à quel point ils sont intelligents et qui ne brassent que du vent ou des vieilles rengaines obsolètes.
Ah oui, on transgresse ! On a le droit de faire tout ce que l’on veut de notre corps. L’abîmer, le tatouer, l’exposer, le torturer, le vendre, le mépriser, le transformer. On a le droit de faire tout ce qu’on veut des autres dès qu’on en a les moyens et le pouvoir. Les épuiser, les violer, les licencier, les éborgner, les handicaper, les humilier, les voler, les asservir , les maltraiter (« ils n’ont qu’à se défendre, traverser la rue, avoir économisé pour leur retraire, prendre un emprunt pour leurs études, ce sont des loosers… »). Mais on n’a pas le droit de penser autrement que ce qu’on nous dit de penser. On n’a pas le droit de penser le Bien, ensemble, de penser un Bien commun possible en dehors du cadre productif !
La pensée officielle en sciences sociales est devenue esclave d’une double pensée unique, qui se bagarrent comme des gamins de cour d’école primaire, sous l’œil amusé de ceux qui sont en train de prendre le pouvoir totalitaire sur nos vies, grâce au contrôle et la désagrégation de la culture, de l’histoire, de la philosophie, des transmissions des savoirs faire qui nous donnaient les moyens de maîtriser le monde par nous mêmes, des savoirs-être ensemble qui nous permettent un juste équilibre entre notre liberté individuelle et la liberté des autres à travers des règles de respect et d’égalité de droits communs.
Il faut produire pour consommer. Et consommer pour pouvoir écouler la production.
Tout le temps
Toujours
Sans limites
Le travail, c’est une technique pour produire, toujours plus et toujours plus vite. En échange d’un salaire pour pouvoir consommer toujours plus et toujours plus vite.
Toutes les activités humaines, même les plus simples et les plus intimes doivent être utilisées pour créer de l’argent. Méditer, se reposer, dormir, aimer, lire, marcher, regarder, manger, toucher, être avec l’autre, donner, écouter, entendre sont des marchés à rentabiliser, à faire rentrer dans le cadre productif.
On crée des produit pour cela. Des formations, des coachs, des applications, des start-ups, des sites, des lieux, des méthodes, des spécialistes… payants. Et qui vont nous imposer de vivre selon un cadre bien précis. « Bien » marcher, « bien » méditer, « bien » manger, « bien » travailler… Être là où c’est rentable, rassemblé comme un troupeau à tondre, connectés, tracés, fichés.
Dans ce monde qui érige la liberté comme un absolu, notre liberté de vivre à notre guise (bien ou pas bien) en fonction de notre humeur et de notre envie, notre liberté à déterminer nous-mêmes ce qui nous fait du bien, choisir qui nous fait du bien, et où et comment on a envie de vivre, et de ne pas faire comme tout le monde, mais d’obéir à notre petite folie particulière, est condamnée.
Avoir le choix
Voir le travail comme une œuvre
Penser le loisir comme le plaisir de ne rien faire
Renoncer à la laisse des nouvelles technologies
Laisser notre corps être ce qu’il est avec plaisir
Préférer le lien à l’épanouissement uniquement personnel
Imaginer un monde dans lequel la production est au service du Bien commun et se trouve limitée par notre intelligence
Imaginer un monde où l’Avoir est raisonné,
et, à la place de l’Avoir, choisir le lien à l’autre, les moments d’échange et de partage, le temps avec l’être aimé
Imaginer un monde que tout le monde construit, à l’intérieur de règles communes, pour que personne ne reste sur la route.
Respecter la merveilleuse capacité des humains à prendre soin des autres et renoncer à la compétition et à la compétitivité qui détruit
Ce qui veut dire:
Imaginer un monde qui n’a jamais existé dans l’histoire (dans la préhistoire, c’est autre chose)
C’est renoncer aux vieilles manières de penser, adaptées (plus ou moins) au monde du passé, c’est à dire renoncer au Capitalisme néo libéral
Mais aussi au Marxisme
Et inventer les règles qui vont prendre dans le capitalisme et dans le marxisme et aussi dans notre pensée créatrice pour créer une structure fiable, pragmatique et intelligente adapté à notre temps.
Peindre, raconter, créer ce nouveau monde
Pour que les gens puissent avoir le plaisir de le construire ensemble
Et de le penser.
C’est le rôle de penseur. Initier un récit.
Je n’en voit pas…. dans les « officiels » du moins
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