Le désir adéquat est celui que je ne prend pas le temps d’écouter, celui qui cogne à la porte de ma vie et auquel je n’ose ouvrir. pourquoi donc ? La logique voudrait, au contraire, que je puisse écouter ce désir, pour le réaliser, en profiter et me sentir comblée.
Une sourde peur me tenaille… Parce que le désir nait du manque et ce manque me fait peur…
Peur d’en être blessée, torturée, abîmée…
Je ne veux pas souffrir du manque.
Les boudhistes disent renoncer au désir, pour éviter la souffrance.
Mais quelle souffrance? Quel désir ?
Renoncent-ils au désir d’épanouissement ? Celui que Spinoza et Jollien appellent adéquat ?
Non, je ne crois pas. Les bouddhistes et autres affiliés zen cultivent au contraire ce manque, ce vide qui permet à la vie de bouger, d’être, cet espace où la vie s’épanouit, ouvre ses ailes de papillon. Sans lui, la vie même ne saurait exister. Sans le manque, je ne me mets pas en mouvement, je n’ai pas envie, je n’ai pas le désir d’aller chercher ce qui me manque, l’énergie nécessaire à mon être qui est, agit et construit sa vie.
Alors ?
Alors, je crois que la tendance humaine, pas très courageuse et pas très confiante, préfère la facilité du plein. Elle refuse ce vide qui l’angoisse et cherche à se remplir. Ce sont les désirs d’avoir.
Renoncer au désir de vie au profit de multitudes de désirs, hochets du quotidien qui satisfont ma petite personne en la rendant brillante comme une boule de dancing aux multiples facettes aux yeux des autres… Bling bling !
Ces petits désirs, qui nous semblent plus faciles à combler mais qui dépendent des autres (donc de magnifiques sources de frustrations) vont me donner, à chaque fois, l’illusion que, ça y est, si j’ai « ça » (l’amour d’un autre, de l’argent, une super voiture, la reconnaissance, un avancement, un poste de pouvoir, une maison, un petit ami, telle robe avec un prix soldé, une jolie femme dans mes bras, un gros diamant à mon doigt, un diplôme, mon nom sur la liste des best sellers, et on peu rajouter à l’envi tout ce que la plupart d’entre nous poursuivent sans relâche…) je serai comblée… et puis non… (Flute!)
Si on l’obtient, cela perd tout son charme. Très vite, le désir s’éteint, et on est tout triste… Et on repart sur un autre truc ou une autre personne… C’est rien, on s’était trompés, mais cette fois, c’est la bonne…
Mais vous avez vu ? J’ai écrit: désirer avoir (de l’amour, de l’argent etc…). Avoir. Pas être.
Désirer l’autre, désirer « avoir » l’autre est aussi une manière d’éviter de se désirer soi même, éviter d’ »être » avec l’autre (et vraiment l’aimer, en le laissant libre).
Si on ne l’obtient pas. On est frustré, en colère. Et on accuse l’autre ne ne pas nous donner ce dont nous avons besoin. Dépendance qui nous vient de notre enfance… Demander à l’autre de nous combler comme on le faisait auprès de nos parents, tout ça pour s’éviter de s’aimer et de s’accepter soi même et de bien s’occuper de soi, en responsabilité… Et donc éviter de cultiver en soi ce manque créateur de vie…
Et l’on court après nos petits désirs… désespérément … On y met toute notre énergie…
Serait-ce pour oublier le désir de l’être qui est le simple désir d’aimer la vie en soi ?
Un désir d’amour plus grand que moi, qui nait en moi pour me faire simplement être. Un désir qui n’est pas importé du dehors.
Du coup, on est libre, ce ne sont pas les autres à qui je demande de me combler (les pauvres, ils ne peuvent pas !) mais à la vie en moi. Et les autres sont libres…
C’est donc cela, sans doute, que les bouddhistes veulent dire: renoncer aux désirs d’avoir au profit du désir d’être.
Oser se reconnaître origine de ce désir de vie, si grand, si impressionnant… et si simple… Oser désirer. Oser aimer dans un élan libre de toute contrepartie… Aimer gratuitement, librement, pleinement, simplement pour le plaisir d’aimer… Oups !
Parce que, ben oui, c’est bien joli, tout ça, mais, moi, j’aimerai bien recevoir en échange de ce que je donne…
Faire de la vie, de l’amour un vilain marchandage, quelle tentation !
Devenir comptable comme les enfants qui comptent les gestes faits lorsqu’ils aident à ranger la table du dîner (« ah, moi, j’ai ramené les assiettes et Louis, il n’a ramené que deux verres… c’est pas juste ! »). « Ah moi, je l’ai aimé et lui (variante: elle), il (elle) ne m’a même pas aimé autant… C’est pas juste ! »
C’est si simple de faire comme on en a l’habitude, désirer que l’autre nous comble à l’image de l’enfant que l’on n’est plus… et attendre le père Noël…
Mais une tentation bien dangereuse car ces amours là, ces désirs là, finissent généralement assez mal… Parce que l’autre est autre et n’est pas là pour nous mais pour lui.
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