Cela va désormais faire presque un an, à quelques jours prés, que ces deux journalistes ont été engloutis dans l’étrange situation géopolitique qui règne en Afghanistan. Otages, doublement otages, dans une guerre où la France n’a pas grand chose à dire, encore moins à exiger. Otages des clans afghans, mais aussi otages d’une sale guerre dans laquelle l’information libre et honnête n’est pas bienvenue.
Personne, à part les français, ne se soucie d’eux. Ni les américains, ni la plupart des chefs de guerre afghans, ni les islamistes, ni les pakistanais. Et les français n’ont, là bas, aucun pouvoir dans un OTAN sous main-mise américaine. Leurs troupes ne sont que des exécutants de la politique internationale des Etats-Unis.
Et les Etats-Unis, embarqués encore une fois dans une sale guerre, n’ont certainement pas envie de libérer des journalistes qui pourraient en savoir un peu trop sur la réalité du terrain. Terrain où le moins que l’on puisse dire, ils ne se couvrent pas de gloire! Comme au Vietnam ou en Irak…
Les américains ne doivent pas avoir de bons traducteurs de chinois, car ils négligent d’appliquer les sages conseils que l’on trouve dans le remarquable ouvrage de Sun Tsé, l’Art de la guerre. Ils ont une stratégie de cow-boys là où il faudrait la sagesse raffinée d’un grand guerrier. En particulier, un des principe de Sun Tsé est de comprendre l’ennemi autant que l’on se comprend soi-même. Ce qui suppose se comprendre et se connaitre vraiment.
Or, un peu aveuglé par leur complexe de supériorité, les stratèges américains ne semblent pas bien se connaître eux-mêmes, en ignorant délibérément leur fragilités et leurs faiblesses pour se rengorger de leur puissance… Ils se considèrent comme les plus forts, les mieux armés et les plus puissants. Ce qui est assez vrai.
Mais la puissance sans la ruse et l’intelligence ne vaut rien à la guerre. Ils veulent s’imposer par la force, qui leur semble la voie la plus facile et la plus directe. Ils se heurtent à un adversaire qui néglige l’affrontement direct au bénéfice de la multiplicité, de l’ubiquité et de l’imprévisibilité. Ils se heurtent à une culture tellement différente de la leur, qu’ils se trompent chaque fois qu’ils imaginent les réactions de l’adversaire, récoltant de la haine à la place de l’admiration ou de la soumission.
Ils ne connaissent pas plus leur adversaire qu’eux-mêmes. Encore moins qu’eux même. Un adversaire multiforme, ancré dans une très vieille culture, dans un pays à l’histoire compliquée où des influences nombreuses (récentes ou anciennes) dessinent les réseaux de pouvoir et d’autorité. Il y a les afghans, divisés en tribus, en guerre les unes contre les autres, mais aussi les pakistanais, les russes, les intégristes musulmans aux factions parfois incontrôlables même entre eux…
Il y a les alliances, les retournements d’alliances, les trahisons, les fausses promesses, les vraies promesses, l’appât des richesses, du pouvoir, les jeux personnels, les conflits d’intérêts, les idéaux collectifs, les traditions séculaires, les vengeances, les douleurs qui font faire n’importe quoi… Toutes choses qui font de l’Orient un imbroglio dans lequel un occidental a bien du mal à se retrouver.
L’Afghanistan est un objectif stratégique essentiel pour les Etats Unis. Ce pays leur est indispensable dans leur politique de contrôler les ressources pétrolières mondiales et leur volonté de devenir les gendarmes du monde grâce àl’Otan.
Sa situation géographique en fait une base idéale pour qu’ils puissent contrôler toute cette région du monde riche en pétrole, entre l’Irak et le Caucase. De plus, c’est une base avancée vers la Chine dont la montée en puissance inquiète les américains. Ils ne sont pas prêts à la quitter à moins de ne pouvoir y installer un gouvernement à leur botte. Sauf qu’ils se heurtent à des gens qui n’ont aucune envie de plier le genoux devant la puissance américaine. D’autant moins que cette fameuse puissance montre de sérieux signes d’essoufflement…
Dans ces conditions, quelles sont les chances de libérer deux journalistes français, pas vraiment adeptes de la propagande officielle de l’OTAN ? Pourquoi prendre des risques dans une situation compliquée et dangereuse, incontrôlable, pour libérer des gens qui s’y sont fourrés eux-mêmes et qui risquent fort de ramener un témoignage gênant pour tout le monde ? Les américains n’ont pas oublié le rôle des journalistes et de la presse dans la condamnation unanime concernant leur conduite de la guerre au Vietnam…
J’ai vraiment peur pour eux.
En fait, j’espère plus en l’humanité (et l’esprit pratique) des afghans qui les gardent prisonniers pour qu’ils soient finalement libérés, que sur les démarches entreprises par le gouvernement. Après tout, s’ils les ont gardés vivants jusqu’ici, ce n’est certainement pas pour ne rien en tirer du tout au final… Hélas, les officiels français n’ont pas grand chose à offrir en échange de leur liberté. A part peut être de l’argent, une belle rançon. Tout le décisionnel d’importance et les initiatives militaires et géopolitiques sont entre les mains américaines…
Je pense souvent à eux, comme aux autres personnes, quelles que soient leur nationalités, retenues loin de chez elles, pour des causes diverses et variées. Le danger que courent régulièrement les journalistes pour faire leur travail en conscience fait d’eux, des hommes courageux, dignes de respect. Dire la vérité est devenu périlleux dans notre monde à la Big Brother…
Je fais le voeu, en cette fin d’année, qu’Hervé et Stéphane puissent revenir très vite parmi nous.
Je fais le voeu (pieux) que la paix va pouvoir finir par s’installer dans cette région du monde. Que l’on y remplace la compétition stérile en une collaboration intelligente. Tout le monde y gagnerait… Et surtout la population civile, les femmes et les enfants…
Site pour soutenir ces deux journalistes et signer la pétition de soutien: www.liberezles.net
ou
http://www.soutienherveetstephane.org
Pour info, extrait d’un article de Marianne:
« Or, les fichiers confidentiels de l’armée américaine dévoilés par le site Internet Wikileaks.org prouvent que c’est le général Desportes qui dit la vérité, et le ministre de la Défense qui prend ses rêves pour la réalité – à moins qu’il ne distille sciemment de fausses informations. Peu importe, d’ailleurs. Le plus grave c’est le tableau dressé par ces 92 000 rapports d’incidents, résumés par les trois journaux qui ont bénéficié de l’exclusivité : The Guardian, The New York Times et Der Spiegel.
Que disent donc les 200 000 pages rendues publiques ? Que la guerre d’Afghanistan est d’ores et déjà perdue ; que les victimes civiles se comptent par milliers ; que les atrocités se multiplient tant du côté des talibans que des forces de l’Otan ; que les services secrets pakistanais, formés par les Américains, ont plusieurs fers au feu ; que les talibans utilisent contre les Etats-Unis une partie des armes que ces derniers avaient fourni aux moudjahidines, naguère, pour combattre les soviétiques ; et enfin que l’entourage du président Hamid Karzaï est mouillé jusqu’au cou dans des trafics inavouables et des compromissions insoupçonnées. D’où cette conclusion du Guardian : « Après neuf ans de guerre, c’est le chaos qui menace de triompher en Afghanistan ».
Jack Dion – Marianne | Mardi 27 Juillet 2010
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